La poésie, j'y comprends rien, et c'est tant mieux !
3ème
Vision poétique du monde
Groupement de textes
3E Si Calendrier

André Breton, « Chiffres et Constellations amoureux d’une femme », 1958

Au globule de vie toute la chance et pour cela qu'il s'agglomère à lui-même autant de fois que la goutte de pluie sur la feuille et la vitre, selon les tracés pas plus tôt décidés que disparus dont elle garde le secret et cela en autant de sens qu'indiquent les rayons du soleil.


C'est comme les perles de ces petites boites rondes de l'enfance jouet comme on n'en voit plus qui ne tenaient pas quitte tant qu'au prix d'une longue patience on n'en avait pas ponctué jusqu'au dernier alvéole une bouche esquissant un sourire. La tête d'Ogmius coiffée du sanglier sonne toujours aussi clair par l'ondée d'orage : à jamais elle nous offre un visage frappé du même coin que les cieux.


Au centre, la beauté originelle, balbutiante de voyelles, servie d'un suprême doigté par les nombres.




André Breton a écrit ce poème en prose, pour accompagner une peinture de Joan Miro, réalisée en 1941, et présente dans un album. André Breton a donné le même titre à son poème, que celui donné par le peintre, à sa toile.




Arthur Rimbaud, Poésies, 1883


« Voyelles »


A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes :
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,


Golfes d’ombre ; E, candeurs des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;


U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;


O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
— O l’Oméga, rayon violet de Ses Yeux !


Ce poème fut publié en 1883 mais Rimbaud l'avait composé en 1871. Il n'avait alors que 17 ans. Il s'était enfui de chez lui, pour la 2e fois et avait quitté Charleville-Mézière pour gagner Paris, là où les artistes se rencontraient et, surtout, là où l'armée Prussienne était arrivée, et là où eut lieu la Commune.

Blaise Cendrars, La Prose du transsibérien et de la petite Jehanne de France, 1913


En ce temps-là j'étais en mon adolescence

J'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfanceJ'étais à 16 000 lieues du lieu de ma naissanceJ'étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept garesEt je n'avais pas assez des sept gares et des mille et trois toursCar mon adolescence était si ardente et si folleQue mon coeur tour à tour brûlait comme le temple d'Éphèse ou comme la Place Rouge de Moscou quand le soleil se couche. Et mes yeux éclairaient des voies anciennes. Et j'étais déjà si mauvais poèteQue je ne savais pas aller jusqu'au bout.Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare croustillé d'or,

Avec les grandes amandes des cathédrales, toutes blanchesEt l'or mielleux des cloches...Un vieux moine me lisait la légende de Novgorode J'avais soif

Et je déchiffrais des caractères cunéiformesPuis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit s'envolaient sur la placeEt mes mains s'envolaient aussi avec des bruissements d'albatrosEt ceci, c'était les dernières réminiscencesDu dernier jourDu tout dernier voyageEt de la mer.

Pourtant, j'étais fort mauvais poète. Je ne savais pas aller jusqu'au bout.J'avais faimEt tous les jours et toutes les femmes dans les cafés et tous les verres

J'aurais voulu les boire et les casser

Et toutes les vitrines et toutes les ruesEt toutes les maisons et toutes les viesEt toutes les roues des fiacres qui tournaient en tourbillon sur les mauvais pavésJ'aurais voulu les plonger dans une fournaise de glaiveEt j'aurais voulu broyer tous les osEt arracher toutes les languesEt liquéfier tous ces grands corps étranges et nus sous les vêtements qui m'affolent...Je pressentais la venue du grand Christ rouge de la révolution russe...Et le soleil était une mauvaise plaieQui s'ouvrait comme un brasier.En ce temps-là j'étais en mon adolescenceJ'avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de ma naissanceJ'étais à Moscou où je voulais me nourrir de flam- mesEt je n'avais pas assez des tours et des gares que constellaient mes yeux


Ce mots ne sont que le début d'un long poème, qui s'étend sur 400 vers.
Il paraît en 1913 et, la même année, la peintre Sonia Delaunay illustre le texte. Aujourd'hui encore, des éditions proposent de lire le poème et les images qui l'accompagnent, dans sa version "accordéon".



Alain Bashung, « Vertige de l’amour », in Pizza, 1981


J'ai crevé l'oreiller

J'ai dû rêver trop fort

Ça me prend les jours fériés

Quand Gisèle clape dehors

J'aurais pas dû ouvrir

À la rouquine carmélite

La mère sup' m'a vu venir

Dieu avait mis un kilt

Y'a dû y'avoir des fuites


Vertige de l’amour


Mes circuits sont niqués

Puis y'a un truc qui fait masse

Le courant peut plus passer

Non mais t'as vu ce qui passe

J'veux le feuilleton à la place


Vertige de l'amour


Tu te chopes des suées à Saïgon

J'm'écris des cartes postales du front

Si ça continue j'vais me découper

Suivant les points, les pointillés


Vertige de l’amour


Désir fou que rien ne chasse

Le cœur transi reste sourd

Aux cris du marchand de glaces

Non mais t'as vu ce qui passe

J'veux le feuilleton à la place


Vertige de l'amour


Mon légionnaire attend qu'on l'shunte

Et la tranchée vient d'être repeinte

Écoute, si ça continue j'vais me découper

Suivant les points, les pointillés


Vertige de l'amour


J'ai dû rêver trop fort

Ça me prend les jours fériés

Quand Gisèle clape dehors

J'ai crevé l'oreiller

J'ai dû rêver trop fort

Ça me prend les jours fériés

Quand Gisèle clape dehors

J'ai crevé l'oreiller


Pizza est l'un des albums les plus célèbres d'Alain Bashung qui, tout au long de sa carrière, a cherché à mêler rock'N'roll et poésie.
Alain Bashung - Vertige de l'amour (1980)
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Vertige de l'amour - ici
Avec Vertige de l’amour, Bashung trouve encore un bel équilibre entre le rock et la chanson. Et de l’aveu même du chanteur, ce titre est à l’image de l’album Pizza sur lequel il figure : à la fois grave et léger.
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